« transition démographique »

Les démographes, ne sachant que faire pour freiner l’explosion de la population mondiale ou rassurer leur public, se rabattent sur le modèle de la « transition démographique », définie comme suit :

Après une longue phase de pauvreté, les populations qui bénéficient soudainement de conditions de vie améliorées grâce aux progrès de l’industrie et de l’agriculture, connaissent une première phase d’accroissement démographique, due principalement à l’allongement de la durée de vie. Puis les « changements de mœurs » liés au nouveau standing inciteraient pendant une deuxième phase les individus à limiter le nombre des naissances. Ainsi s’établirait une période post-transition, conservant une population quasiment constante, évitant la surexploitation du milieu.

Le modèle est foncièrement optimiste, pour ne pas dire irresponsable. Il semble certes confirmé par le constat que l’on peut faire dans différents pays européens qui, après une période de haute natalité et d’allongement de l’espérance de vie, ont vu leur courbe démographique se stabiliser, voire décroître légèrement. Mais peut-on extrapoler ces résultats aux pays du Tiers Monde en mal de progrès ?

Notons d’abord que les mécanismes psychosociaux censés expliquer le rapport entre accès au progrès, « changement de moeurs » et limitation des naissances n’ont jamais été clairement élucidés. Il est donc extrêmement imprudent d’aller tabler sur de présumés changement de mœurs pour affirmer que les mêmes enchaînements auraient lieu dans un contexte culturel différent. Il est tout à fait possible que le phénomène d’après-guerre, ou que l’émergence de nouvelles idéologies (mai 68 ?) en aient été les moteurs, éléments qui ne se retrouveront pas identiques dans d’autres parties du monde.

Ce sont avant tout des mécanismes psychologiques qui poussent les populations à régler leur taux de fécondité. Ces mécanismes dépendent de la culture dans laquelle les individus sont immergés. On ne peut donc tirer de l’exemple des pays stabilisés qu’une seule conclusion : que l’accession aux avantages du progrès a fini par conduire à une réduction des taux de fécondité, cela dans le contexte culturel qui était celui des pays considérés. Rien ne permet d’extrapoler ces données à des pays imprégnés d’une autre culture, notamment d’une autre religion.

La baisse de la natalité en Occident est due en partie au nouvel engagement de la femme dans le monde du travail et au principe de la parité, qui lui laisse choisir le nombre d’enfants désirés. Des barrières religieuses différentes pourraient bloquer ce mécanisme, voire l’inverser à plus ou moins long terme. L’affaiblissement démographique est perçu a priori comme un danger face aux autres nations. L’esprit kamikaze pourrait encore aggraver la situation : tant pis si la majorité est emportée par la catastrophe écologique, si nous nous dépêchons d’engendrer, il restera plus de descendants de notre sang…

Autant nous autres Occidentaux sommes interpellés par les problèmes écologiques et par une limitation du nombre de nos descendants, autant d’autres populations pourraient même réagir à l’inverse. Certains États pourront craindre de voir leur population décimée et leurs valeurs, notamment leur religion et leur puissance militaire, mises en minorité par d’autres nations honnies. Il est bien possible que certaines tranches de la population mondiale décideront de forcer sur les naissances, afin de mieux s’imposer à ce que sera devenue la concurrence internationale dans le contexte de crise qui ne manquera pas de s’installer.

Il faut aussi prendre en compte le facteur temps : en Europe, il a fallu bien des générations pour que les effets du progrès aboutissent à une stabilisation démographique. Dans un contexte culturel différent, avec une moindre conscience des dégâts à l’environnement, et l’éblouissement produit par un changement de niveau de vie très récent, ce temps de décalage pourrait être plus long.

Même si le présumé processus s’effectue plus rapidement, par exemple sous l’influence des médias aujourd’hui plus prégnante qu’il y a quelques décennies, le temps nécessaire pour qu’un changement de mentalité s’installe, puis qu’une effective limitation des naissances se traduise par une stabilisation démographique, a toutes les chances d’être trop long pour que les dommages à l’environnement ne dépassent pas le seuil de l’irréversibilité.

Bien d’autres considérations, aujourd’hui imprévisibles, pourront influencer les comportements et faire mentir le modèle de la transition démographique. Il serait bien naïf de s’appuyer sur des prévisions purement analogiques pour se rassurer et négliger de prendre les mesures les plus élémentaires.

À commencer par essayer de comprendre les mécanismes de l’actuelle explosion démographique, notamment les mécanismes psychosexuels sous-jacents. On ne la jugulera pas sans cette connaissance élémentaire.