Bases historiques de l’écopsychologie

Paul Shepard, écologiste d’avant-garde (1925-1996), se demandait déjà pourquoi, nonobstant tous les discours et toutes les mesures qui prennent leur essor autour du problème écologique, « notre société continue inexorablement à détruire son habitat… »

L’actuelle aggravation des émissions de CO2, qui battent régulièrement de nouveaux records, 40 ans après la conférence de Stockholm et 15 ans après le protocole de Kyoto, lui donne tristement raison. De même les masses de déchets de plastique toujours plus nombreux à flotter sur les océans, jusqu’à former un nouveau continent au milieu du Pacifique, alors qu’il est démontré que les microparticules issues de leur dégradation se retrouvent dans le foie des poissons puis dans le nôtre. La déforestation massive continue dans les forêts tropicales, dont personne n’ignore qu’elles sont le poumon de la planète. L’explosion industrielle des pays en voie de développement aggrave massivement la situation. Ne manquait que l’actuelle crise financière pour dispenser les états de tout engagement écologique…

Shepard s’interrogeait déjà sur un facteur inconnu que les scientifiques auraient négligé et qui serait la cause de cette spirale irréversible. S’il a su tracer les premiers lignages du raisonnement de base de l’écopsychologie, il s’est arrêté à des influences du paysage agricole ou villageois sur le psychisme, qui ne sont qu’une petite facette du problème. L’écogénétique humaine s’emploie à combler cette lacune en mettant de côté toutes les résistances, inerties et préjugés. Pour la première fois, elle prend en compte la question cruciale des interactions possibles entre les dysfonctionnements du psychisme humain et les désordres environnementaux, cela en comptant dans l’environnement non seulement les caractéristiques du milieu physique, mais également celles du milieu culturel, y compris ses aspects alimentaire et sexuel.

Il peut se produire entre ces différents ordres de facteurs toutes sortes d’influences réciproques et de cercles vicieux, aggravant aussi bien les comportements contre nature que la dégradation du biotope. La situation actuelle témoigne d’un emballement de plus en plus inquiétant, quasiment exponentiel, tant du mal-être général que des nuisances écologiques. Une telle dynamique est caractéristique d’un phénomène de « feedback », les interactions mutuelles produisant une auto-activation du processus. Il est d’autant plus urgent de donner le coup de frein qui sache rompre la spirale.

Parmi les facteurs à prendre en compte : le glissement de valeurs produit par la perte des beautés naturelles, le mode d’alimentation et ses multiples conséquences, les modèles agricoles, l’influence des exorphines du blé et du lait sur le psychisme, les sources de la morale répressive, les frustrations existentielles et sexuelles, la quête de compensations, leurs conséquences en termes de névrose sur le consumérisme, l’altération des structures psychiques sous l’effet de l’éducation, l’enfermement dans les villes et le besoin d’évasion, la contamination culturelle par le tourisme, le vide spirituel et le rêve d’exoplanètes, la fuite dans le virtuel, etc. En fait : tous les artéfacts qui nous ont éloignés des lois naturelles, depuis la conquête du feu…
En tant qu’heuristique, l’écogénétique humaine joue la carte de la programmation génétique de l’homme et des autres acteurs intervenant dans l’écosystème. Des contraintes environnementales (matérielles, biochimiques, culturelles…) dépassant la capacité d’adaptation des organismes (y compris du psychisme) provoquent par définition des ruptures d’équilibre. Il faut donc systématiquement se demander, pour chaque invention humaine ou modification de comportement, si les limites d’adaptabilité ne sont pas outrepassées, cela aussi bien pour l’homme que pour les autres formes de vie.

Il est possible par exemple que l’alimentation occidentale, avec les divers excitants qui l’accompagnent et se multiplient depuis quelques siècles, modifie l’équilibre psychoaffectif parce que mal adaptée à nos potentialités génétiques. Un tel changement d’état intérieur (qu’il s’agit de mesurer scientifiquement) peut avoir pour effet que les frustrations deviennent plus intolérables et poussent les individus à faire passer leurs désirs égoïstes avant le respect des valeurs communautaires. Cette même alimentation a par ailleurs des conséquences importantes sur l’équilibre écologique : c’est elle qui détermine le modèle agricole, avec ses monocultures de céréales et ses résultats désastreux sur les réserves d’humus, sur le climat, la pollution… Le manque d’empathie pour la nature et la biodiversité, lui aussi en rapport direct avec les modifications de l’état psychique, fait que tout le monde tolère cette situation et qu’elle s’amplifie avec les années. Il s’agit alors de se demander pourquoi notre modèle alimentaire s’est institué, pourquoi il évolue vers une hyperphagie généralisée et une obésité endémique, pourquoi il contamine de plus en plus de pays du tiers monde…

Ce sont de même tous les artéfacts matériels et culturels qui doivent être passés sur la sellette, avec toujours au centre du raisonnement la question de l’adaptabilité génétique et des altérations de l’état psychique. Les premières avancées de Shepard pourront ainsi trouver un prolongement décisif : le précurseur a su montrer la voie, à nous d’aller au bout du chemin…